Nous ne sommes pas préparés à ça

On se dit qu’on va seulement s’investir pour sa ville.
On se dit qu’on veut participer aux idées de projets communaux.
Juste regarder.
On se dit que, bon, de toute façon, on ne passera pas. On regardera comment ça fonctionne. Et puis on va apprendre plein de choses rien qu’en observant.

Et puis …


Et puis, sans comprendre comment, on est élus.
Seize voix.
Seize voix seulement alors que deux mois plus tôt, personne n’avait jamais entendu parler de nous.


Nous ne sommes pas préparés à ça.
Je n’étais pas préparé à ça.


Pas préparé à ma première prise de parole en conseil municipal.
Ma première prise de parole lors de notre première réunion publique.
Ma première prise de parole lors de notre première cérémonie des vœux.

Pas préparé à gérer du personnel.
Pas formé pour gérer du personnel.

Pas préparé à devoir dire “je suis désolé mais on ne pourra pas continuer ton contrat”.
Pas préparé à avoir des personnes en pleurs dans mon bureau.

Pas préparé à ce qu’on m’appelle un samedi soir de juillet : “Nico, un accident grave près de chez nous. Viens vite !”.
Pas préparé à voir cette maman hurler en pleine rue quand on lui annonce la mort de son fils de 8 ans.
Pas préparé à signer, deux jours après, l’acte de décès de ce petit garçon. Et après avoir signé, pas préparé à devoir sortir de la mairie pour aller sur le parking et pleurer.

Pas préparé à gérer un budget de 3 millions d’euros.

Pas préparé à devoir prendre des décisions pour l’ensemble d’une commune.
Pas préparé à décevoir des personnes en prenant des décisions.

Pas préparé à ce qu’on m’appelle, ce lundi soir de décembre, pour me dire : “Nico … C’est Pierre. Il est mort”.

Pas préparé à être critiqué publiquement.
Pas préparé à être jugé, en permanence.
Que l’on fasse quelque chose ou pas, vous serez jugés. Que l’on prenne position ou pas, vous serez jugés.

Pas préparé à gérer les sensibilités et les égos de chacune et chacun.

Pas préparé à célébrer ce mariage de ce Monsieur, se sachant mourant, mais voulant tout gérer pour sa femme, avant de partir.
Pas préparé à terminer ce mariage en faisant illusion. Puis pleurer dans l’arrière salle.

Pas préparé à ne jamais pouvoir réellement couper.
Pas préparé à être presque toujours disponible pour répondre aux collègues, aux agents, aux concitoyens sur tous les sujets du quotidien.
Pas préparé à ne jamais pouvoir faire la gueule en public. Tout du moins, pas préparé à devoir toujours sourire.

Pas préparé à intervenir sur des incendies de maison, qui auraient pu tourner au drame.


En lisant tout ça, on pourrait se dire que ce n’est pas une sinécure que d’être élu.

Mais sincèrement : je ne regrette rien. Absolument rien.

Je suis parfois fatigué. Physiquement. Moralement.
Parfois frustré.
Agacé.

Mais j’adore ce que je fais.

Pouvoir rencontrer tellement de personnes et partager.
Les écouter.
Tenter de les accompagner, de les aider. Échouer parfois, mais apprendre.

Voir des projets émerger. Avancer. Se réaliser.

Apprendre. Tous les jours. Sur tous les sujets.


Pour toutes ses raisons, malgré les moments difficiles, je ne regrette rien.

Si vous me posez la question, si vous souhaitez vous investir dans votre ville, si vous souhaitez participer aux idées de projets communaux, ma réponse sera simple : allez-y.

6 commentaires à propos de “Nous ne sommes pas préparés à ça

    1. Merci pour ce beau témoignage passionné. Je me demande comment les relations mairie – habitants pourraient évoluer pour dépasser cette relation « client-fournisseur » souvent conflictuelle ? Quelles pistes explorer selon vous ?

  1. Témoignage très touchant et poétique. Une certaine naïveté et une innocence rafraîchissante à lire. On a presque l’impression qu’il ne peut y avoir que 2 positions : soit être sensible, empathique, soit être une machine, un bulldozer qui ne s’arrête pas et mène sa politique. « Sa » politique, sa vision, qui souvent est centrée autour de « sa » propre personne et de ses intérêts propres, avec tout le cynisme qui va avec (petits arrangements entre amis de la politique et de l’industrie, etc.) Donc MERCI pour ce billet de blog. J’ai eu la chance d’avoir un membre de ma famille maire d’une toute petite commune, quelqu’un de très humain. C’est une vocation. Il était heureux, il avait trouvé sa place. Il était aussi très bien entouré. Il faut un enracinement solide pour accepter les situations dramatiques que vous évoquez. Je vous souhaite une bonne continuation 🙂

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